Indemnité d'éviction et Bail Annulé (Dol)
En bref:
L'exploitant renonce à l'indemnité d'éviction dans le bail commercial, tout en sachant que cette renonciation n'est pas valable.
Les juges annulent le bail. L'exploitant de la résidence de tourisme n'a pas le droit à une indemnité d'éviction. La mauvaise foi du locataire, qui a rédigé le bail commercial se retourne contre lui.
Résumé:
En introduisant avec malignité dans le contrat de bail une clause par laquelle il feignait de renoncer par avance à son droit, consacré par des dispositions d’ordre public, à une indemnité d’éviction en cas de non renouvellement du bail commercial, sachant pertinemment que cette clause était sans portée alors qu’elle était pour le bailleur une condition substantielle du contrat, le preneur, société spécialisée dans la gestion des résidences de tourisme, a agi dans le dessein de surprendre par la ruse le consentement du bailleur investisseur profane, en le rassurant faussement dans la croyance légitime que sa renonciation constituait un réel engagement de sa part et qu’elle participait à un équilibre des obligations réciproques constituant l’économie générale du contrat.
Ce comportement s’analyse en une manœuvre dolosive entachant le contrat.
VEFA et bail commercial en résidence de tourisme
Les époux Y... ont fait l’acquisition auprès de la société Bacotec d’un appartement et d’un parking en l’état de futur achèvement dans un immeuble « [...] » au Cap d’Agde, ayant vocation de résidence hôtelière et para hôtelière. La livraison de l’immeuble intervenait le 9 août 2002. La société Bacotec Gestion, appartenant au même groupe financier que le promoteur a signé avec les époux Y un bail commercial. L’objet du bail était défini en ces termes : « le propriétaire a procédé à l’acquisition du bien immobilier compris dans un ensemble immobilier offrant des services hôteliers ou parahôteliers, aux fins d’en conférer la jouissance pour une durée au moins égal à 9 années à un exploitant unique agissant lui-même dans le cadre de son activité commerciale de gestion desdites résidences. »
L'exploitant gestionnaire de la résidence de tourisme renonce à l'indemnité d'éviction dans le bail commercial
Le bail était consenti pour une durée de 9 années et demi entières et consécutives, avec libération à son terme des biens immobiliers faisant l’objet de la présente convention. Il était précisé au paragraphe no 6 que « l’exploitant restituera au terme de la convention ou de ses renouvellements successifs, les biens immobiliers faisant l’objet de la présente convention au propriétaire, sans revendiquer quelques droits que ce soit, nés des présentes, et notamment le droit à indemnité d’éviction visé à l’article 8 du décret du 30 septembre 1953. » Les époux Y..., en vue de l’arrivée du terme des 9 années et demi, ont fait signifier à la société Bacotec Gestion un congé pour le 31 décembre 2011, avec refus de renouvellement et sans indemnité d’éviction conformément au paragraphe no 6 dudit bail.
Le gestionnaire de la résidence de tourisme conteste le congé sans indemnité devant le TGI
L’exploitant de la résidence de tourisme a assigné les époux bailleurs devant le tribunal de grande instance en nullité du congé. Le gestionnaire de la résidence de tourisme prétend que la renonciation à l’indemnité d’éviction lui est inopposable. (sans effet à son égard). Une clause de renonciation à l’indemnité d’éviction serait clause nulle selon les dispositions de l’article L. 145-15 du code de commerce, à raison du caractère d’ordre public de ces dispositions interdisant de faire échec au droit du preneur au renouvellement du bail ou à une indemnité d’éviction. Cet article est fait pour protéger le locataire commercial, partie faible. Or, en résidence de tourisme, la partie forte est le locataire qui rédige le bail commercial et la partie faible le bailleur, souvent un simple particulier.
Le dol, vice du consentement des bailleurs au moment de la signature du bail commercial
En défense, les bailleurs soutenaient la nullité de la convention sur le fondement du dol ayant vicié leur consentement, au visa des dispositions de l’article 1116 du code civil. Ils faisaient valoir notamment que :
- la société Bacotec, en sa qualité de professionnel de l’immobilier, leur a proposé un contrat dans lequel était insérée une clause de renonciation à l’indemnité d’éviction, clause substantielle pour eux au regard de la rentabilité de l’investissement, et ce alors même que ce professionnel avait une connaissance obligée de l’absence de portée de ladite clause au regard des dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux ;
- eux-mêmes, petits investisseurs étaient totalement profanes en matière de baux commerciaux et tenus dans l’ignorance de l’inefficacité d’une clause contraire aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux ;
- ce comportement constitue une manœoeuvre qui a surpris leur consentement par la ruse de sorte qu’ils sont bien fondés à solliciter la nullité du contrat pour vice du consentement par dol.
- en conséquence de la nullité du bail, il y a lieu de débouter la société Bacotec Gestion de ses demandes et de juger que les indemnités d’occupation dues par le preneur se compenseraient avec les loyers versés.
Les juges donnent raison aux bailleurs et annulent le bail commercial pour dol. L'indemnité d'éviction n'est donc plus dû.
Sur le dol et sur l’absence de prescription
L’appelante soutient en cause d’appel, au visa des dispositions de l’article 1117 du code civil, que les époux Y... ne pouvaient ignorer, dès la signature du bail litigieux, la présence dans ledit contrat d’une clause dont ils ne bénéficieraient pas puisque celle-ci est contraire à l’ordre public. En d’autres termes, elle prétend que l’action en nullité du bail serait prescrite du fait que ses bailleurs auraient eu connaissance, dès la signature du bail, que leur consentement était vicié par la clause litigieuse qui emportait leur consentement alors qu’ils ne pourraient s’en prévaloir. Ce raisonnement n’est pas sérieusement fondé.
En effet, si le dol est établi comme ayant vicié le consentement des époux Y... au jour de la signature du contrat, on ne voit pas comment ils auraient pu dans le même temps s’en apercevoir et néanmoins signer le contrat. La question du dol et celle de la prescription qui est opposée ne peuvent donc être traitées que concomitamment.
Les époux Y..., qui sont de petits investisseurs, non seulement ne sont pas - au contraire du preneur - des professionnels de l’immobilier, mais sont parfaitement profanes en matière de baux commerciaux.
La société Bacotec Gestion, qui fait partie du même groupe financier que le promoteur Bacotec, est la rédactrice du bail-type qu’elle a fait signer à l’ensemble des acquéreurs de l’immeuble. Alors que l’immeuble ne serait livré que le 9 août 2002, il ressort du courrier de la société Bacotec Gestion adressée aux époux Y... en date du 12 décembre 2001, et produit par ces derniers en pièce 2, que la régularisation du bail qu’elle leur soumettait était présentée aux acquéreurs comme un préalable nécessaire à l’acte d’acquisition devant notaire de leur futur appartement. Pour être une société spécialisée dans la gestion des résidences de tourisme et en se portant preneur de l’ensemble des appartements de l’immeuble, la société Bacotec Gestion avait une parfaite connaissance du statut des baux commerciaux, et donc une connaissance obligée, dès la rédaction du contrat, de l’inopposabilité de la clause litigieuse qu’elle insérait néanmoins sciemment, en dépit des dispositions d’ordre public relatives au droit du preneur au renouvellement du bail ou à une indemnité d’éviction.
C’est donc avec une malignité certaine que le preneur a introduit dans le bail cette clause dont elle savait pertinemment que les différents propriétaires de l’immeuble, parmi lesquels les époux Y..., ne pourraient s’en prévaloir le moment venu, soit en fin de bail soit à l’issue d’un renouvellement de celui-ci. Dès lors que le preneur a rédigé une telle clause sans aucune portée, c’est bien que celle-ci était essentiellement destinée à tromper l’investisseur profane en le rassurant faussement.
Si la société Bacotec ne pouvait ignorer que cette clause était contraire aux dispositions d’ordre public, en revanche, rien ne permettait aux futurs acquéreurs de soupçonner que leur futur preneur ne faisait là que feindre de renoncer par avance au droit à une indemnité d’éviction. Dès lors, les futurs acquéreurs et bailleurs pouvaient avoir la croyance légitime que cette renonciation constituait un réel engagement du preneur et qu’elle participait à un équilibre des obligations réciproques constituant l’économie générale du contrat.
C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu par des motifs synthétiques que la cour adopte que la société Bacotec a proposé, en sa qualité de professionnel de l’immobilier à la signature des époux Y..., une clause de renonciation qu’elle savait sans portée, et ce alors que cette clause était pour eux une condition substantielle du contrat, dès lors qu’elle permettait une sortie du bail à frais réduits pour les preneurs ; que de tels agissements constituent une manœoeuvre destinée à surprendre le consentement d’une partie par la ruse et que les époux Y... rapportent donc la preuve d’un dol entachant le contrat les liants à la société Bacotec.
Si la somme de 13 358,04 €, réclamée au titre d’une indemnité d’éviction, est certes relativement en deçà des sommes usuellement réclamées en la matière devant les juridictions, cette somme n’est pour autant nullement dérisoire pour les petits investisseurs profanes que sont les époux Y.... Ces derniers, avant de s’engager, ont considéré l’avantage financier manifeste que présentait cette renonciation du preneur à une indemnité d’éviction, et ont pu être invités à comparer cet avantage relativement à d’autres opérations d’investissement immobilier dans le même secteur ne présentant pas une telle clause.
Dès lors, la renonciation du preneur à une indemnité d’éviction ne pouvait apparaître que comme un élément déterminant de l’opération proposée. Si leur attention n’avait pas été attirée par cette spécificité et l’intérêt financier qui en ressortait, ils n’auraient pas contracté. En effet, le coût de plus de 13 000 € réclamé au titre d’une indemnité d’éviction est pour eux un montant non négligeable représentant un affaiblissement certain de la rentabilité de l’opération.
La croyance légitime qu’avaient les époux Y... en une renonciation du preneur à l’indemnité d’éviction a perduré tout au long du bail, puisqu’ils ont signifié, par acte du 20 mai 2011, un congé pour le 31 décembre 2011, sans indemnité d’éviction conformément au paragraphe 6 dudit bail. La prescription d’une action en nullité du bail sur le fondement du dol n’a pu commencer à courir qu’à compter du 30 novembre 2011, soit la date du courrier recommandé adressé aux époux Y... par le conseil de la société Bacotec Gestion, leur indiquant notamment : « Vous vous prévalez d’une clause du bail qui est inopposable au preneur.
En effet cette clause est nulle car endroit il est impossible de renoncer par avance un droit d’ordre public. Plus particulièrement les dispositions de l’article L. 145-15 énoncent que sont nuls et de nul effet les clauses ayant pour effet de faire échec aux droits de renouvellement vous dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37, L. 145-41, L. 145-42, et L. 145-47 à L. 145-54.(...)
En outre, en l’espèce, les époux Y... soutiennent le dol par voie d’exception opposée à la demande principale de la société Bacotec Gestion. En conséquence, l’exception de nullité du bail, opposée par les époux Y... à la société Bacotec Gestion n’est pas prescrite.
Les conséquences du dol : Le dol conduit les juges prononcer la nullité du bail commercial et à considérer que les loyers versés venaient en compensation des indemnités d’occupation dues pour occupation sans titre.
L’indemnité pour procédure abusive (2.000 euros)
La mauvaise foi de la société Bacotec Gestion est parfaitement établie. C’est avec la même malignité dolosive qu’elle a agi en paiement de l’indemnité d’éviction, son action apparaissant comme une procédure d’intimidation à l’encontre de ses bailleurs profanes, alors qu’elle avait parfaitement conscience d’être parvenue à vicier leur consentement par une manoeœuvre dolosive.
Le jugement sera donc confirmé sur l’indemnité de 2 000 € allouée aux époux Y... pour procédure abusive.
Cour d’appel de Montpellier, 10 janvier 2017, N° de RG: 14/06714
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